Laura André-Boyet (instructrice d’astronautes et fondatrice de PASI), Jean Anguera (sculpteur, membre de l’Académie des Beaux-Arts), Yann Arthus-Bertrand (photographe, scénariste, président de la fondation GoodPlanet, membre de l’Académie des Beaux-Arts), Bertrand Badie (politologue, professeur des universités),Tristane Banon (écrivaine et essayiste), Frédérique Bedos (journaliste, fondatrice de l’ONG « Le Projet Imagine »), Geneviève Baret (enseignante, référente EDD pour le réseau français des écoles associées de l’UNESCO), Sonia Bahri (conseillère à la Commission nationale française pour l’UNESCO), Jean-Christophe Carteron (Sulitest), Christophe Cassou (Climatologue au CNRS-Cerfacs), Samuel Cazenave (Président de ANTHROPOCENE ACADEMY), Guillaume Chevalier (enseignant dans le réseau AEFE et fondateur de 12 at 12 for the planet), Gilles Clément (jardinier, paysagiste, journaliste et écrivain), Philippine Dolbeau (présidente d’une agence de consulting) ; les membres du collectif « Citoyens de l’Anneau » : Baptiste Mathéo (étudiant), Odile Gérard (enseignante), Nicolas Hervouet, Pierre Klein (ATD Quart Monde), Sandrine Louc (créatrice Zen 2050), Philippe Mathis (délégué), Razak Oba (consultant en développent solidaire), Olivier Stock (enseignant) ; Jean-Louis Etienne (médecin et explorateur, concepteur du projet POLAR POD), Grégoire Fraty (Membre de la Convention Citoyenne pour le Climat), Pascale Fressoz (fondatrice et présidente de l’Alliance Internationale pour les Objectifs de Développement Durable), Ophélie Gaillard (concertiste violoncelliste, fondatrice de l’ensemble PULCINELLA), François Gemenne (professeur à Sciences Po Paris, directeur de l’Observatoire Hugo et auteur principal du 6eme rapport du GIEC), Philippe Guettier (président de SDG Champions France), Jean Jouzel (paléoclimatologue, ancien vice-président du GIEC), Pierre Léna (astrophysicien, cofondateur de la Main à la pâte, membre de l’Académie des sciences), Lydie Lescarmontier (glaciologue, femme de l’année 2021 de Forbe), Guillaume Massé (océanographe, chercheur au CNRS), Philippe Meirieu (chercheur, spécialiste des sciences de l’éducation et de la pédagogie), Erik Orsenna (Ecrivain, Prix Goncourt, membre de l’Académie Française), Valérie Masson-Delmotte (paléoclimatologue, professeur des universités, coprésidente du GIEC, membre du haut conseil pour le climat) ; pour Oceanopolis, Tristan Hatin et Céline Liret ; Maryline Perenet (présidente de Digit’Owl), Emmanuelle et Ghislain Périé-Bardout (directeurs des expéditions UNDER THE POLE), Adeline Pilon et Yacine Haït Kaci (fondateurs et dirigeants de ELYX), Pierre Quintard (Président de l’Institut Jane Goodall France), Victor Rault (créateur de Captain Darwin), Jacques Rougerie (architecte océanographe, membre de l’Académie des sciences), Marc-André Sélosse (chercheur, président de la fédération Biogée), Jean-Marc Septsault (enseignant, référent EDD pour le réseau français des écoles associées de l’UNESCO), Philippe Spanghero (chef d’entreprise), François Taddéi (chercheur en génétique et éducation, essayiste, directeur du Centre de recherche interdisciplinaire et fondateur des Saventuriers), Michel Taube (chroniqueur et essayiste), Marie-Noëlle Tiné-Dyèvre (Présidente des Elles de l’Océan et de WISTA France), Serge Tisseron (psychiatre et psychanalyste, membre de l’Académie des technologies), Mathilde Tricoire (enseignante, ancienne responsable pédagogique à l’OCE), Romain Troublé (Directeur général de la Fondation TARA OCEAN), Christian Vannier (fondateur et directeur du forum international de la météo et du climat).
"Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé, le 16 avril, à Marseille que son quinquennat « sera écologique ou ne sera pas », en affichant le projet de « faire de la France une grande nation écologique », nous, citoyennes et citoyens engagés pour l’atteinte des Objectifs du développement durable (ODD) [adoptés en 2015 par les Nations unies], souscrivons à ce projet et souhaitons singulièrement appeler l’attention du chef de l’Etat sur l’outil éducatif.
La « Nation écologique » a pour préalables indispensables une Nation-Ecole et une Ecole écologique.
Ce qui suit est l’objet d’une première démarche collective de réflexion d’acteurs de l’éducation au développement durable et à la transition écologique. Et nous connaissons l’intérêt d’Emmanuel Macron pour l’école, qui vient d’en donner un nouveau témoignage en Sorbonne devant les recteurs, peu avant la rentrée scolaire [le 25 août].
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Nous sommes convaincus de la nécessité de considérer l’enseignement aux défis sans précédent lancés au genre humain comme une véritable priorité au sein des administrations publiques qui transmettent des savoirs, dans l’enseignement secondaire comme supérieur et professionnel, au titre de la formation initiale et continue.
Obéissant à une logique de transversalité des connaissances et de continuité pédagogique, les éducations aux processus de la nature, au vivant et à un développement désirable, dont la base est d’abord scientifique, apportent des méthodes de pensée, des choix de valeurs et portent des facteurs de confiance et de bien-être, notamment par des éléments de réponse dont chacun a besoin pour cheminer librement dans toutes les dimensions de sa vie, personnelle, familiale, professionnelle, citoyenne, militante…
La « nation écologique » a pour préalables indispensables une nation-école et une école écologique
Elles suscitent, pour les plus jeunes, la curiosité et l’envie d’apprendre en touchant à la complexité des interactions au sein de la nature et du vivant, ainsi qu’aux ressources qu’offre l’inventivité technique.
De multiples problématiques doivent être étudiées au cours du parcours scolaire sous différents angles, adaptés à la capacité de compréhension des élèves. C’est aussi un facteur de motivation des enseignants, qu’on peine à recruter, à former et à motiver, à partir du moment où leur liberté d’innovation est garantie et accompagnée.
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Les entrées ne manquent pas : quelle est la singularité des défis de notre temps, sa nature, son intensité, sa variabilité et ses conséquences possibles ? Que nous en dit la science ? Qu’est-ce que la biodiversité ? En quoi son érosion est-elle préoccupante ? Quels sont les liens entre climat et biodiversité ? Que signifie le terme « limites planétaires » ? Quels sont les outils d’évaluation des risques, quels paramètres et quelles ressources pour concevoir quelles solutions de vie individuelle et collective ?
Que signifie le concept de résilience ? Quelles sont les conceptions du bien-être individuel et collectif et quelles en sont leurs traductions ? Quel est le contenu de la notion « One Health » et que signifie-t-elle dans la relation entre les êtres vivants, leur identité, les conditions de la bonne santé et de la bonne alimentation ? Quelles conséquences sur l’organisation des sociétés et des pays ? Quelles évolutions possibles de l’exercice de la citoyenneté et des principes du respect que l’étude de la complexité éclaire ?
Le compte n’y est pas
Etre capable de répondre à ces questions, c’est disposer des savoirs fondamentaux pour agir positivement et heureusement au sein du système planétaire. En vue d’une transition écologique juste, une éducation au développement durable (EDD) – terme consacré, même si, à certains égards, il demeure flou et parfois controversé – est le socle nécessaire à ces évolutions, liant savoirs académiques et apprentissages par l’expérience sensible et l’action collective.
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A ce jour, le compte n’y est pas, tout spécialement pour ce qui concerne le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse. Où trouve-t-on dans la scolarité le temps des symbioses académiques, du projet collectif ? Quels liens administratifs et organiques entre enseignement moral et civique, éducation artistique et culturelle au développement durable ? Quels moyens complémentaires pour les chefs de mission académiques et les référents d’établissements, tous presque bénévoles ? Quelle ambition pour le développement professionnel des personnels, du local au national ? Quels moyens de diffusion réelle auprès des établissements ? Quelles méthodes pour associer universalité des savoirs et diversité des réalités territoriales ? Quelles coordinations des partenaires du climat, de la biodiversité, des sujets d’intégrité et d’intimité – discriminations, violences, harcèlement, sexualité, égalité filles-garçons et genre ?
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Tout commence dès le plus jeune âge pour tous les temps de la vie, scolaires mais aussi extra et périscolaires, et se poursuit à l’âge adulte. Le champ d’action se porte donc au-delà du seul ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, et doit viser une large transversalité interministérielle. Mais il pose aussi la question du choix que nous avons collectivement à faire d’une école française pour le XXIe siècle.
Un projet collectif
Deux actions nationales nous semblent prioritaires pour se lancer vers de nouveaux horizons :
- réviser les attributions du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, qui ne font aucune mention à l’éducation au développement durable (transition écologique) et à un projet systémique en la matière ;
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- créer un secrétariat d’Etat à l’éducation au développement durable auprès de la première ministre. Il aurait notamment pour mission d’aider à la conception et à la structuration d’un projet collectif, en passant par une mobilisation large et libre, organisée par un grand tiers de confiance de l’école et concrétisée par une conférence nationale de consensus, en lien avec le conseil national de la refondation.
Il structurerait, animerait et motiverait la grande communauté nationale des écodélégués, formidable levier d’excellence individuelle et d’engagement collectif pendant et hors des temps scolaires. A partir de là, il rénoverait, élargirait et enrichirait les démarches actuelles de labellisation des établissements en France comme à l’étranger et fixerait une véritable stratégie française de l’EDD à l’international.
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Enfin, il consoliderait les relais académiques actuels en mutualisant des délégations insuffisamment dotées, pour un déploiement effectif d’expérimentations et de nouveaux dispositifs auprès de tous les apprenants.
En conclusion, il faut agir immédiatement et fortement pour que l’école s’ouvre à une vision planétaire des enjeux et façonne la citoyenneté du futur."
Publiée dans Le Monde – 11 avril 2022
« L’école doit enseigner et cultiver une politique du vivant »
La campagne présidentielle est passée à côté de la jeunesse et du défi climatique, dont l’urgence exige de revoir complètement la manière dont l’école l’aborde, estime, dans une tribune au « Monde », un collectif de personnalités, parmi lesquelles Jean Jouzel, Jean-Louis Etienne, Tristane Banon et Tony Parker, qui proposent un « décloisonnement radical » de l’approche des questions environnementales.
Tribune. La campagne présidentielle ne mobilise pas les jeunes, qu’ils soient en âge de voter ou non. Mais a-t-elle vraiment cherché à le faire ? Et comment aurait-elle pu, le cas échéant, y parvenir ? La tâche est complexe, face à une multiplicité de défis interdépendants qu’il incombe à la jeunesse de relever.
L’urgence climatique et environnementale rebat toutes les cartes : les repères de la vie économique et sociale, nationale et internationale, les migrations, les modes de consommation, la citoyenneté, l’alimentation. Elle remet en question la perception du corps, la mobilité, la sexualité, les identités, les relations intergénérationnelles – d’une façon générale, les rapports à soi-même, aux autres, êtres humains comme êtres vivants.
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Le défi est, à bien des égards, vertigineux, ce que confirme le plus récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié le 4 avril. Sur une planète Terre, devenue comme menaçante à force de lancer des signaux de détresse, la jeunesse exprime, comme jamais elle ne l’avait fait jusqu’à présent, des inquiétudes collectives profondes, mais aussi une attention renouvelée à l’environnement.
Des étoiles dans les yeux
Par où fallait-il commencer ? Comment redonner à notre jeunesse quelques étoiles dans les yeux ? Par l’école. Parce que sans elle on s’épuisera en vain à réguler des secteurs en transition, à la façon de Charlot dans Les Temps modernes, embringué dans une mécanique incontrôlable ; parce que le savoir et la pensée critiques sont les meilleurs guides face à des choix difficiles, pour éviter les fausses routes, les fantasmes, les peurs « collapsistes », les ostracismes et les violences ; parce que, comme la graphie le suggère, « écologie » commence par le mot « école ».
Le changement sera matriciel ou ne sera pas. Il doit être éveillé et naître dans les cerveaux des bâtisseurs de l’avenir, non pas comme une série de données abstraites ou d’actes automatiques, mais comme un mode d’appréhension sensible du monde. Ce n’est là ni plus ni moins que la vocation première de l’école : apporter les bons matériaux pour l’exercice de l’esprit critique et pour l’esprit tout court. Mais appliquée à la construction d’une citoyenneté du XXIe siècle, c’est une révolution copernicienne, parce que l’école ne relie pas spontanément les acquis fondamentaux au défi fondamental.
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Nous faisons partie du vivant et, en ce sens, l’école doit enseigner la réalité et la richesse de ses relations symbiotiques. Elle doit permettre à chacun de trouver à s’insérer dans une société ouverte au monde, en dialogue avec lui. Elle doit viser à créer et à stimuler ces liens. Elle est une éducation politique en ce qu’elle est ouverte aux autres êtres vivants : elle doit enseigner et cultiver une politique du vivant !
Ajouter aux programmes des touches d’éducation au développement durable ne suffira pas. Il faut constituer des projets globaux sollicitant tous les savoirs dans le cadre de démarches collectives, théoriques et pratiques, en classe comme en pleine nature, de la maternelle à la terminale. Autrement dit, ce qui est optionnel, insaisissable et inévaluable aujourd’hui doit devenir central et structurant. Il faut aider à l’émergence par l’école et par le débat démocratique de générations bioéclairées plutôt que biodégradées.
Le vivier d’un engagement collectif
Cela commence par un décloisonnement radical de l’approche des questions environnementales : celles-ci impliquent de mêler et sans hiérarchie la biologie, la physique, la chimie, la philosophie, la littérature et les arts, les sciences humaines et sociales, les mathématiques, l’éducation physique et sportive, les sciences politiques. Les savoirs sensibles, l’émerveillement et la créativité sont les premiers vecteurs de l’étude.
Compte tenu de l’urgence, dans un premier temps, l’école n’y arrivera pas seule ! Mais elle est très entourée par la société tout entière, bienveillante et exigeante, qui attend beaucoup d’elle, depuis notamment qu’elle l’a perçue pendant la pandémie comme l’espace qui apprend, mais aussi qui protège et qui émancipe… Et de nombreuses associations, fédérations, fondations, personnalités scientifiques, littéraires, artistiques gravitent autour de l’institution scolaire pour la nourrir de leurs lumières sur tous ces sujets. Mais elles n’ont jamais la même intensité et ne rayonnent jamais partout…
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L’école peut donc devenir le vivier d’un engagement collectif sain et puissant. Pourtant, la campagne présidentielle est passée à côté de cet enjeu, qui appelle des réponses concrètes et immédiates.
Comment faire ? En s’engageant à réaliser les quatre principes suivants simultanément et immédiatement après la constitution d’un nouveau gouvernement :
– Décloisonner l’administration centrale de l’éducation nationale pour qu’elle se libère d’une frénésie paperassière, tiraillée sans cesse à hue et à dia par tout et tous, et pour qu’elle soit reliée à toutes les autres administrations et structures qui ont à faire avec la transmission de savoirs. Il faut désormais viser un objectif unique et universel, que résume le concept « One Health » (« une seule santé ») , c’est-à-dire une éducation de 7 à 77 ans reliant toutes les santés qui font l’équilibre du système Terre.
Un enjeu européen
– Déployer des projets durables et désirables dans chaque établissement, qui mêlent tous les savoirs dans un cadre pédagogique intégré, collectif et hebdomadaire tout au long de la scolarité, en identifiant des ressources humaines spécifiques d’aide au pilotage et à l’ouverture vers tous les partenaires de l’école, à commencer par les élèves et les parents eux-mêmes. Et ces projets seront plus directement reliés aux grands choix de politique nationale et internationale, dans le cadre des objectifs de développement durable. L’enjeu, en ce sens, doit être profondément européen : des projets reliant les jeunes de ces territoires seront au cœur du dispositif.
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– Former les jeunes aux questions environnementales en classe et en pleine nature, afin de tisser une relation durable avec la nature environnante, rurale, forestière, marine, aussi bien qu’urbaine, à la découverte des écosystèmes. Parce que l’écologie doit aussi se fonder sur l’émerveillement, sur le voir, le toucher, le sentir, ainsi que sur des professionnels spécialisés, cela impliquera de s’appuyer sur un réseau local (animateurs, associations, chercheurs, artistes, etc.), répertorié par chaque rectorat.
Les actions visées ne seront pas individuelles ou ponctuelles, mais régulières, structurantes, encadrées par les établissements et par les académies, de la maternelle jusqu’au lycée. Elles doivent impliquer les parents d’élèves, et reposent sur un dialogue entre générations et entre élèves de différents niveaux.
– Organiser le réseau des partenaires de l’école en créant une agence nationale autonome. Portée par la société civile, elle sera le grand tiers de confiance de la société française et de son école. Elle proposera un lieu de prospective, un espace de regroupement des expériences et des expertises internes et externes des éducations nationales. Elle permettra, par ces rencontres, de construire des projets pédagogiques scientifiquement solides, universellement déployés sur le territoire, visibles et évaluables. Elle se tournera régulièrement et librement vers la société française pour l’interroger sur son école et sa jeunesse.
Tribune rédigée par Samuel Cazenave
Liste des signataires : Laura Andrée Boyet : instructrice d’astronautes et fondatrice de PASI ; Souleymane Bachir Diagne, philosophe ; Lucie Basch, co-fondatrice de TooGoodToGo ; Tristane Banon, écrivaine et essayiste ; Mai Lan Chapiron, chanteuse et autrice ; Fadi Georges Comair, président du programme hydrologique intergouvernemental de l’Unesco ; Gilles Clément, jardinier, paysagiste, botaniste et écrivain ; Anne Defréville, autrice et illustratrice ; Philippine Dolbeau, présidente d’une agence de consulting ; Eglantine Eméyé : comédienne et animatrice télévision/radio ; Jean-Louis Etienne, médecin et explorateur, spécialiste des pôles et initiateur du projet Polar Pod ; Ophélie Gaillard, violoncelliste ; Ghada Hatem-Gantzer, médecin et présidente de la Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ; Eric Guilyardi, océanographe et climatologue au CNRS, ancien membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ; Jean Jouzel, climatologue ; Pierre Léna, astrophysicien, cofondateur de La Main à la pâte ; Véronique Mure, botaniste et écrivaine ; Tony Parker, ambassadeur de l’éducation pour les Jeux olympiques 2024 de Paris ; Maryline Perenet, présidente de Digit’Owl ; Claire Pétreault, présidente des Pépites vertes ; Jérôme Saltet : co-fondateur de Pay Bac ; Marc-André Selosse : chercheur, président de la fédération Biogée; Maurice Tchénio, président de la fondation Alpha-Omega ; Agnès Troublé, dite Agnès B, créatrice de mode ; Romain Troublé, Directeur général de la Fondation Tara Océan ; Claude Vivier Le Got, Présidente de la Federation for Education in Europe (FEDE).
Profitons de la diversité législative pour rassembler et agir pour l’Ecole-écologique !
Quand tant de talents se mobilisent auprès de la jeunesse pour l’impérieux et urgent enjeu écologique, et que la jeunesse elle-même ne cesse de lancer des appels – il y a quelques jours encore, le Conseil national de la vie lycéenne -, il devient insupportable de laisser croire que l‘institution « Education Nationale » s’est portée à la hauteur de ce défi. Pourtant, la clé des grandes transitions à l’œuvre se forge sur ses bancs. Et c’est heureusement aujourd’hui l’objet d’un large consensus scientifique et populaire. Mais il manque encore un choix politique clair et concret pour franchir le Rubicon ! Ne serait-ce pas le bon moment ?
Un enjeu politique, économique et ontologique
Il y a un enjeu politique et économique pour notre pays. Si la France doit se porter à l’avant-garde de la transition pour se saisir, sans heurts économiques, sociaux et politiques, de ces transformations d’ampleur inédite - décarboner l’industrie, transformer le système énergétique, améliorer la résilience partout, anticiper de nouvelles filières d’emplois, penser un nouveau modèle agricole, initier un urbanisme de courte distance, etc -, elle doit d’abord, à tout le moins, accoutumer et prendre appui sur sa jeunesse.
Il y a aussi un enjeu ontologique, parce que la question écologique est une question globale. Elle évoque la relation de chacun à son environnement, c’est-à-dire au système Terre tout entier, composé d’abord de soi-même, un écosystème déjà bien complexe, et à tous les autres, du plus petit organisme vivant unicellulaire à la baleine bleue en passant par l’intrépide communauté humaine, et bien sûr le monde minéral, apparemment plus calme - en évacuant des évènements aussi rares que saisissants, érosion, glissements de terrains, tremblements de terre, etc…
Et rien de "mieux" que la diversité législative pour convenir de coalitions de conviction sur de grands projets de gouvernement !
Faire bien en faisant du bien
L’Ecole est la seule administration nationale à avoir à traiter toutes les dimensions et interactions de la transition écologique, chance exceptionnelle pour Elle et toute la communauté éducative. Car, cette Ecole, encore embryonnaire, titille les curiosités et l’envie de savoir, les émotions. Elle émerveille, pique l’esprit critique, sollicite le discernement et l’expression créative. Elle pousse à l’engagement à partir de données objectives. Elle a vocation à faire bien en faisant du bien. Elle renoue ainsi avec la vocation phorique qui signe l’Ecole de la République nouvelle, celle que l’on attend plutôt que celle que l’on regrette !
Mais où trouve-t-on dans la scolarité le temps des symbioses académiques, du projet collectif ? Quels liens administratifs et organiques entre enseignement moral et civique, éducation artistique et culturelle, aux médias, au développement durable, etc ? Quels moyens complémentaires pour les référents académiques et d’établissement, tous presque bénévoles ? Quelles formations nouvelles pour les enseignants et les personnels administratifs, de direction, de santé, d’inspection ? Quels moyens de diffusion réelle auprès des établissements ? Quelles méthodes pour associer universalité des savoirs et diversité des réalités territoriales ? Quelle coordination de la vaste constellation des partenaires du climat, de la biodiversité, des sujets d’intégrité et d’intimité - discriminations, violences, harcèlement, sexualité, égalité filles-garçons et genre ?
Quand on s’inquiète légitimement de la cancel culture qui efface le passé, du wokisme, puritanisme extrême, des séparatismes de tous poils, du désintérêt pour l’engagement civique face au mundilio politique, de la multitude de discriminations et violences qui éteignent la vie, il faut agir et sortir des sentiers battus par l’éducation, plutôt que de pleurer sur le lait renversé : la République est d’abord transformatrice. Elle n’est pas seulement réprobatrice.
Le risque de passer à côté
Avec l’arrivée d’un nouveau ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, et après le travail réel et nouveau mais à moyens constants sur ce sujet de son prédécesseur, l’heure du nouveau cap est-il arrivé ? Les bien nommés “décrets d’attribution” doivent pouvoir nous renseigner à ce sujet... Alors, que dit celui du 1er juin 2022 numéroté 2022-833 ? Rien. Et la composition du cabinet est à l’avenant, segmentant au lieu de systémiser en une mission unique les objectifs de développement durable.
Espérons que la nouvelle configuration législative du pays suscitera des changements immédiats, de ce côté-là aussi. C’est à souhaiter.
D’autant que les deux ministres qui étaient jusqu’à cette échéance législative en charge de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ainsi que de la transition énergétique, se voyaient, elles, chargées de contribuer aux programmes d’enseignement sur le sujet écologique.
Peut-être considère-t-on qu’il suffit d’emblée de recourir à des scientifiques sans l’apport décisif de la pédagogie et sans prendre en compte la dimension systémique de ces problématiques écologiques ? Ce serait une aberration.
Peut-être encore est-ce le fait de la rue de Grenelle elle-même, préférant opportunément jongler avec ces éducations à la citoyenneté du XXI è siècle au gré d’aléas politiques, plutôt que de penser un projet global pour contribuer autrement et partout à la réussite scolaire ? Ce serait une faute, parce que c’est en travaillant « le changement climatique » à l’Ecole, que le climat de l’École peut s’en trouver changé.
Il faut se mobiliser pour l’Ecole-écologique. Et c’est à la Société française de le faire de façon unanime et rigoureuse.
Cela suppose deux préalables : le lancement d’une conférence nationale de consensus, indépendante – mais pas indifférente - du pouvoir politique national qui aura pour vocation de poser les principes d’une charte nationale de cette Ecole nouvelle ; l’accompagnement et l’aide au déploiement du nouveau projet avec tous les acteurs de l’Ecole-écologique par un grand tiers de confiance.
Il s’agira organiquement d’un espace d’accueil et de co-construction des acteurs de l’Ecole, statutairement indépendant, mais fonctionnellement rattaché à l’Etat par une convention nationale de partenariat. Son action doit être majoritairement financée par la société civile.
Ainsi, il interviendra en complément et dans le prolongement des actions de l’Etat pour proposer une vision et des objectifs au système éducatif ; appuyer la recherche pluridisciplinaire sur l’éducation ; accueillir un dispositif décentralisé d’appui et de conseil aux établissements scolaires ; rassembler, coordonner et animer les partenaires extérieurs, français et étrangers, de l’Ecole ; expertiser les expérimentations et déployer de nouveaux supports pédagogiques ; abriter les instances stratégiques et de réflexion de l’Education nationale, le conseil national d’évaluation de l’école, le conseil national des programmes , le conseil scientifique de l’Education nationale, ainsi que l’Inspection générale de l’éducation, des sports et de la recherche, etc.
Nous avons tous à voir avec l’Ecole et avec l’enjeu environnemental. L’Ecole-écologique doit donc être un choix de société, aidé et non pas entravé par le pilotage administratif et politique souvent confondus. Si notre pays veut être aux avant-postes de la transition, il doit s’emparer de cette grande ambition pour ses enfants, de 7 à 77 ans, et bien sûr plus jeunes, et même plus âgés !
La parole marseillaise du président-candidat Emmanuel Macron a ouvert la marche vers un nouveau chemin.
Ce 16 avril 2022, cette campagne, qui attendait sa métamorphose, a placé l’écologie au cœur des choix publics, comme un nouveau paradigme... Ce n’est pas seulement l’écologie de nos industries, de nos économies, de nos métiers et de nos paysages, dont il a été question, mais de celle de notre projet commun, de notre relation globale avec l’ensemble complexe que constitue le système Terre et le vivant : moment rare en politique, de symbiose entre les fondements de l’action politique et la refondation nécessaire du pacte humain.
Fidèle à elle-même, la France peut ouvrir ce chemin d’un « contrat naturel », comme elle le fit à l’époque lointaine de la reconnaissance des droits de l’homme et du citoyen. Tout part du réel, du quotidien, de chacun, pour agir, non par atavisme ou par crainte, mais en connaissance et en conscience, en pleine liberté, l’espérance chevillée au corps.
Il est encore temps de saluer « ceux qui savaient et qui [auront] fait », avant que l’histoire ne juge les autres sévèrement.
Dans ce laboratoire national de l’Ecole que devient la Cité phocéenne, le défi éducatif est le corollaire du défi climatique au commencement de la transition globale. Jules Ferry, ministre de l’instruction publique, avait été choisi pour être président du Conseil, au moment où il fallait anticiper sur les bouleversements du XX è siècle. De la même façon, les connaissances et l’esprit de complexité seront le vivier des missions transversales pilotées par ce nouveau Premier Ministre, décrit par Emmanuel Macron.
Des projets nombreux, souvent partenariaux, reliés aux réalités territoriales, ont déjà été lancés et réalisés par le Ministère de l’Education Nationale, de la jeunesse et des sports plus spécialement depuis près de 3 ans. Le président de la République en a cité 2, les aires marines éducatives et le projet Odysséo.
Il en existe d’autres qui manifestent une réelle évolution et permettent de connaître la bonne façon d’aller plus loin sans délai, pour déployer une éducation au vivant pour tous, de 7 à 77 ans, comme pour la BD !
Qu’a-t-il été fait depuis 2019 ? Citons quelques exemples, pour évoquer le palimpseste plus que la tabula rasa…
2 circulaires nouvelles en 2019 et 2020, qui refondent et restructurent l’EDD dans le cadre des ODD, des 29 août 2019 et 24 septembre 2020. Ces deux textes ont permis, par exemple, la création des écodélégués – près de 250.000 en France -, la création de territoires éducatifs de développement durable, et une stratégie à l’international, qui curieusement n’existait pas jusqu’alors.
La réforme des CESC – comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté - en CESCE – « l’environnement » en plus – offre à près de 63.000 établissement publics d’enseignement de France la possibilité de traiter des enjeux fondamentaux de la jeunesse et de l’avenir, en amont des projets d’établissements (article 6 de la loi climat résilience du 22 août 2021)
Le renforcement des programmes scolaires relatifs au changement climatique, à la biodiversité et au développement durable dans les programmes de la scolarité obligatoire s’est échelonné :
· 2019 : collèges
· 2020 : lycées
Sur les 22 conventions nationales – ou accords -, 13 entièrement nouvelles ont été signées depuis 2019, assorties d’un fort enrichissement de la plupart des autres.
Une réflexion commune s’est nouée entre l’enseignement secondaire et supérieur à l’occasion de l’élaboration du rapport remis par Jean Jouzel "Former aux enjeux de la transition écologique dans le supérieur", paru en février 2022.
La forte accélération du nombre d’établissements engagés dans des démarches de développement durable, le label E3D, se traduit par les chiffres suivants :
· 1760 en 2018
· 5585 en 2020
· 7700 en 2021
Et cette labellisation s’est étendu depuis peu aux établissements d’enseignement agricole :
· 0 en 2020
· 15 en février 2021
Le déploiement des Aires éducatives (marines et terrestres)
· 0 en 2018
· près de 600 en 2021
La création de nouvelles structures depuis 2020
· Une mission nationale confiée à l’Inspection générale de l’éducation du sports et de la recherche
· La transformation des coordonnateurs académiques EDD en chefs de mission académique pour l’EDD
· La création d’un atelier EDD pérenne au sein du Csen – Conseil scientifique de l’éducation nationale, première phase achevée en mars 2022 :
· La création du CNEDDOM, comité national d’éducation au développement durable pour l’Océan et les mers, qui réunit les plus importants partenaires de l’Ecole sur ce sujet
· Le lancement de missions nationales EDD : méditerranée, Pôles et SNU
· La création de studios vidéos de valorisation des actions des écodélégiés dans une centaine de collèges en France
Les nouvelles animations nationales
· Concours national des écodélégues (deuxième édition en cours : restitution des prix en juin 2022)
· « Littéralement classes » : des auteurs dans les classes pour parler en poésie et en littérature des enjeux scientifiques de l’EDD
· Concours d’écriture et de dessin à l’occasion des vacances apprenantes
· Planète Action : des chefs d’entreprises et des personnalités devant des classes
· « Les Objecteurs de confiance » : des personnalités inspirantes devant de grands publics inter cycles d’élèves – première manifestation à Toulouse en mars avec 3 champions et 1000 élèves
· Deux années d’économies d’énergies évaluables dans les EPLE avec le concours national CUBE’S
· La musique classique et la littérature pour parler nature avec Ophélie Gaillard et Erik Orsenna
Les nouveaux supports nationaux pour l’EDD
· Premier Vademecum de l’EDD (un outil de partage entre toutes les parties prenantes sur le sujet)
· 3 guides pour les écodélégués
o 2019 : collège
o 2020 : lycée
o 2021 : primaire
· Guides des buissonniers pour les vacances apprenantes
· Jeu de simulation de négociations onusiennes avec l’AFD
· Création avec Canopé et AFD d’une BD sur les ODD avec l’auteur Jul
· Création de JOBDD avec ONISEP permettant la prise en compte des soft skills EDD dans le parcours et la recherche professionnelle
Il reste maintenant à lancer un projet national précis et global pour un projet restructurant d’éducation au service des enjeux planétaires, non pas seulement de civilisation mais d’Humanité !
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